Renonciation

Qu’est-ce que la renonciation? Pourquoi aurait-on intérêt à renoncer? Pour quelqu’un qui souhaite travailler sur soi, quelle place prend la renonciation parmi les qualités à développer? Il est facile de comprendre pourquoi on devrait travailler la générosité, la moralité, la compassion, l’honnêteté, la patience, elles font certainement de nous une meilleure personne. Mais la renonciation? En quoi nous aide-t-elle à devenir meilleur?

Notre vie est remplie d’occasions de pratiquer la renonciation, souvent sans qu’on ne s’en rende vraiment compte, dans des situations de la vie courante, mais parfois aussi par rapport à des décisions déchirantes et plus significatives. Pour qu’un acte de renonciation prenne place, on a besoin de trois éléments: d’abord, il doit y avoir un choix à faire entre différents chemins incompatibles, ensuite, il faut être certain de ce que l’on veut réellement, puis finalement, il faut être capable d’abandonner ce qui ne peut être gardé pour suivre le chemin choisi.

Un choix

On ne peut pas vouloir le beurre et l’argent du beurre. D’autres diront qu’il ne faut pas courir deux lièvres à la fois. Chaque fois où deux désirs, deux opportunités ou deux choix s’offrent à nous et qu’ils sont en opposition l’un l’autre, l’un des deux doit être laissé. La renonciation, c’est exactement ça, abandonner l’un des lièvres pour pouvoir avoir l’autre, quand avoir les deux est impossible. 

À chaque fois qu’on abandonne quelque chose qu’on aime pour obtenir quelque chose qu’on considère plus important, il s’agit de renonciation. Quand une femme arrête de fumer parce qu’elle est enceinte, quand une personne cesse de manger du dessert dans le but de perdre du poids, quand un étudiant décide de ne pas aller à une soirée pour pouvoir réviser pour un examen, quand quelqu’un qui désire devenir astronaute sacrifie l’idée de fonder une famille pour se consacrer à ses études et sa carrière, ils pratiquent tous la renonciation.

La plupart du temps, la renonciation consiste à laisser tomber un désir éphémère, un plaisir, pour quelque chose de plus important et plus noble, qui restera à plus long terme, mais qui requiert plus d’effort et qui n’apporte pas une satisfaction immédiate. Il est impossible d’arriver à renoncer sans d’abord établir ce qui compte vraiment pour nous, sans choisir si on veut le beurre, ou l’argent du beurre.

Qu’est-ce qui compte le plus pour moi? Ma cigarette ou la santé de mon enfant? Savourer des pâtisseries ou perdre du poids? Avoir du plaisir dans une soirée ou réussir mon examen pour me permettre d’être admis à l’université?

Renoncer à un plaisir immédiat demande de comprendre que d’abandonner ce plaisir maintenant me permettra d’obtenir quelque chose de mieux plus tard. Autrement, quel intérêt aurais-je à me priver? Si je ne vois pas que renoncer m’apportera quelque chose de mieux, si par exemple je ne souhaite pas aller à l’université ou si je ne souhaite pas perdre de poids, je n’ai aucune raison de me priver d’une soirée festive ou d’un gâteau.

Un but

Sans un but, parler de renoncer est comme parler d’acheter une charrue sans avoir ni chevaux, ni tracteur, ni rien pour la tirer. Il faut savoir ce que l’on veut atteindre pour savoir ce qui doit être renoncé. Pour arriver à déterminer cela et prendre une décision sage, il faut évaluer le danger ou le bénéfice de l’un ou de l’autre choix, réfléchir aux répercussions sur mon avenir, prévoir les effets à court, moyen et long terme. Renoncer ne signifie pas de perdre, mais plutôt de choisir le mieux.

Prenons l’exemple d’un enfant de 10 ans obligé de suivre des cours de piano par ses parents qui veulent que leur fils apprenne à jouer d’un instrument. Il va aux cours parce qu’il est obéissant à ses parents, mais il n’est pas réellement intéressé. Malgré le fait qu’il aime en quelque sorte l’idée de pouvoir jouer d’un instrument, il n’aime pas pratiquer et il y a mille activités beaucoup plus intéressantes qu’il aimerait faire.

Il ne pratique jamais le piano de son propre gré, mais seulement quand on lui dit de le faire. Quand il pratique, il pense à ses amis qui sont en train de jouer au soccer dehors, ou comment il pourrait présentement être en train de jouer aux jeux vidéo. Compte tenu du peu de motivation et d’implication dans sa pratique du piano, il est fort improbable, pour ne pas dire impossible, que ce garçon ne devienne un grand pianiste un jour.

Un autre jeune du même âge est amené voir en concert un pianiste professionnel et il en est ébahi. Quand il observe le pianiste jouer, absorbé par sa performance, ne faisant qu’un avec le piano, il sait qu’il veut devenir pianiste, lui aussi. Maintenant, il a un but, et tout ce qui lui importe est de l’atteindre; son but devient son plus grand désir.

En sortant du concert, il demande à ses parents s’il peut avoir des cours de piano et dès qu’il les commence, toute son énergie et sa concentration y sont dirigées. Il aimait jouer au soccer et aux jeux vidéos avant, mais maintenant, tout est changé, comme si c’était une autre vie. Ses parents doivent le tirer de son piano pour qu’il vienne manger; même aller à l’école semble une perte de temps maintenant.

Quelle différence y a-t-il entre les deux garçons? L’un a comme but sa pratique du piano, l’autre non. C’est parce que son but est parfaitement clair qu’il est prêt à tout laisser derrière lui. Et parce qu’il renonce à tout le reste, il a toute sa force et son énergie pour pratiquer et atteindre son but. Pourquoi le rayon lumineux du laser peut-il couper du métal là où le rayon lumineux d’une ampoule ordinaire ne peut pas? Parce que l’énergie du rayon laser est concentrée sur un point bien précis, alors que celle de l’ampoule est diffusée dans un milliard de directions.

Le plus difficile n’est souvent pas de renoncer, mais bien de décider. Savoir ce que l’on veut, ce qui compte réellement pour nous, est l’une des choses les plus importantes que l’on peut faire pour soi-même dans cette vie. Une fois que notre but est clair, solide comme une montagne que le vent ne peut pas déplacer, la renonciation vient d’elle-même, naturellement; elle n’est pas déchirante, elle n’est pas difficile, elle ne demande même pas d’effort.

Abandonner

Parfois, on peut être certain de notre but, mais ne pas arriver à laisser tomber quelque chose qui nous empêche de l’atteindre. Comment cela est-il possible? Pourquoi voudrait-on demeurer attaché à quelque chose qui nous nuit? Bien souvent, c’est parce qu’on aime ce qu’on devrait abandonner…. mais aussi parce que notre détermination envers le but à atteindre n’est pas suffisamment forte.

Voici l’histoire de ce qui est arrivé à l’une de nos connaissances qui était obèse et qui pour longtemps avait eu comme but, du moins en théorie, de perdre du poids. Les docteurs lui avaient bien dit: “en perdant du poids, vous éliminerez l’apnée du sommeil, le diabète, le cholestérol, etc”. Il essaya plusieurs régimes, mais ne les suivait jamais plus que quelques semaines et retournait à ses habitudes alimentaires, pour regagner tout le poids perdu, ou plus. Il n’arrivait pas à renoncer au plaisir de ses repas hautement caloriques, même s’il savait très bien qu’il devrait les limiter pour pouvoir perdre du poids et retrouver la santé.

Un jour, il fut pris d’une crise de coeur, envoyé d’urgence à l’hôpital et gardé aux soins intensifs. Il est passé à deux doigts de la mort. Cet événement lui donna un tel choc, que dès son retour à la maison, son attitude était complètement changée; soudainement, sans avoir besoin qu’on ne l’encourage ou qu’on ne le convainque de quoi que ce soit, les desserts ne l’intéressaient plus et il se nourrissait principalement de légumes. Il se mit littéralement à fondre; il perdait du poids à vue d’oeil. Maintenant, c’était facile d’abandonner les gâteaux, les croissants, la crème glacée, les boissons gazeuses; après avoir eu la peur de sa vie, il ne voulait même plus en entendre parler! Après avoir vraiment compris les conséquences néfastes apportées par le fait de suivre sa gourmandise, soudainement, le désir avait perdu tout son pouvoir; ce qu’il percevait auparavant comme son meilleur ami, il le percevait maintenant devenu son plus grand ennemi. 

Parce qu’il est toujours plus tentant d’écouter son désir que de l’ignorer, il est très difficile de renoncer quand on n’est pas 100% convaincu de pourquoi on devrait le faire. Comprendre pourquoi c’est vraiment la meilleure décision à faire, comprendre vers quels effets indésirables nous mènerait notre désir, voilà ce qui donne la détermination et la force de renoncer.

Partie 2 : Une renonciation noble

Une personne qui décide d’arrêter de fumer ou de suivre un régime a certainement besoin de qualités, elle serait incapable d’y arriver sans détermination et persévérance, mais qu’est-ce qui différencie cette renonciation d’une renonciation noble? 

Comme avec toute autre action, le résultat et la valeur d’un acte de renonciation dépendent grandement de l’intention qui le motive. Il est possible de poser une renonciation pour une action très néfaste; un exemple évident est le kamikaze qui renonce à sa vie pour faire une mission-suicide. Même s’il renonce à sa vie, le plus grand sacrifice qui puisse être fait, cette renonciation apportera de mauvais résultats, car elle est faite avec l’intention de blesser et de détruire. Cependant, quelqu’un qui risque sa vie pour sauver quelqu’un d’autre en sautant devant un train, par exemple, pratique une renonciation qui est toute autre, motivée par la compassion, la bonté, l’empathie.

Un choix

Une renonciation noble implique de décider de renoncer à une part de notre égoïsme. Plutôt que de choisir ce que je veux, ce que je désire, je choisis ce qui aide quelqu’un d’autre, ou ce qui fait de ce monde un monde meilleur. Je sacrifie mon plaisir, mon confort, la facilité, pour quelque chose de moins égoïste, de plus aidant, altruiste, moral et sage.

Prenons l’exemple d’un riche médecin qui approche de sa retraite. Il voit un jour une annonce de Médecins sans Frontières et soudainement lui vient une idée: “Si, plutôt que de prendre ma retraite, j’allais pratiquer mon métier bénévolement dans un pays où les ressources médicales sont limitées et les gens démunis, où les besoins sont énormes”?

L’idée est noble, mais la décision n’est pas si évidente, car elle implique beaucoup de choses; plutôt que de vivre dans une grande maison avec jardin, il devra se contenter d’une habitation rudimentaire – peut-être parfois même d’un abri plus que d’un logis. Terminé les restaurants et tables d’hôte – bienvenu les plats inhabituels et inconnus Au revoir la famille et les copains, maintenant seul au monde au milieu d’inconnus qui parlent une langue qu’il ne comprend pas. La situation politique sera probablement instable et la vie difficile, dans cet endroit où être en vie, chaque jour, est quelque chose à ne pas prendre pour acquis.  

Tant et aussi longtemps qu’il n’arrivera pas à choisir entre son confort et son désir d’aider, entre sa peur de l’inconnu et sa générosité, il pourra difficilement être en paix; pris entre deux forces qui le tirent en direction opposée. Arriver à faire un choix éclairé, à prendre la meilleure décision, voilà qui nécessite un but.

Un but

Pour qu’une renonciation de ce niveau ait lieu, elle doit être motivée par un but clair et solidement établi. On ne parle pas ici d’un objectif à court terme, mais bien d’un but dans la vie. Un but dans la vie, c’est une boussole qui guide notre chemin, qui nous permet de prendre la bonne direction aux points tournants de notre vie. Sans une boussole, il est bien difficile de s’orienter; on peut choisir au hasard le chemin qui semble le mieux, mais pour aller où?

Il faut se demander, réellement, quel est mon plus grand désir? Comment est-ce que je souhaite utiliser cette vie? Si on n’arrive pas à répondre à ces questions, il sera bien difficile de prendre une décision éclairée, et le choix ira alors la plupart du temps pour l’option la plus facile, mais pas nécessairement la meilleure ou la plus sage. Avoir un but nous rend clair et facilite grandement les prises de décision; ce qui nous éloigne de notre but doit être renoncé.

Si je n’ai pas de but dans la vie, qu’est-ce qui pourrait bien me pousser à abandonner mon emploi prématurément et à laisser mon confort? L’une des options est évidemment beaucoup plus facile et j’ai tellement de moyens et arguments pour compliquer l’affaire, pour y mettre du doute et m’excuser, me mentir à moi-même. “Probablement que mon profil ne correspond pas vraiment avec ce qu’ils recherchent.” “Je suis sûrement  trop vieux.” “Je devrais peut-être plutôt me consacrer à ma famille à cette étape de ma vie.” “Je ne sais pas si je serai en mesure de tolérer le niveau de stress nécessaire.” Et ainsi de suite…

Par contre, si la raison sincère pour laquelle j’ai d’abord et avant tout décidé de devenir médecin était par compassion pour l’humanité et pour tenter d’aider ceux qui souffrent, il est inutile de me trouver des excuses, je sais ce que j’ai à faire; le choix n’est pas compliqué.

Comprendre pour pouvoir abandonner

Plus on est attaché à quelque chose, plus il est difficile de le laisser. Pour cette même raison, une bonne compréhension est nécessaire afin d’être capable de renoncer.

Un exemple intéressant à cet effet sont les cinq préceptes du Bouddhisme. Ne pas voler, ne pas mentir, ne pas tuer, ne pas consommer d’alcool ou de drogue et pas d’inconduite sexuelle. Il est important pour celui qui veut pratiquer l’enseignement du Bouddha de suivre ces cinq règles de base; non pas parce qu’on nous demande de le faire, mais parce qu’on comprend pourquoi on devrait le faire, quels en sont les bénéfices et quelles sont les conséquences de ne pas les suivre.

Il est plus difficile pour certaines personnes que pour d’autres de décider de suivre ces cinq règles de base. Si par exemple, je suis alcoolique, il est certain qu’il sera plus difficile pour moi de quitter l’alcool que pour quelqu’un qui ne buvait qu’un verre de vin par mois pour socialiser. Si mon métier est pêcheur, il est certain qu’il s’agit d’une plus grande renonciation pour moi d’arrêter de tuer que pour quelqu’un qui ne fait qu’écraser quelques moustiques sur son bras l’été.

Ajan nous a raconté l’histoire d’une femme qu’il avait rencontrée en Thaïlande et qui était aussi l’élève de son professeur. Elle lui avait expliqué qu’avant de devenir son l’élève, elle était propriétaire de 3 gros bateaux de pêche, qui lui procuraient la majeure partie de son revenu. Après avoir entendu un enseignement sur l’importance des cinq préceptes, mais surtout sur celui de ne pas tuer, elle avait décidé de donner l’ordre aux bateaux d’arrêter leurs activités et avait renvoyé ses employés.

Personne ne ferait une telle chose sans avoir vraiment compris quelque chose, sans avoir ouvert ses yeux sur quelque chose d’important qu’il n’avait jamais réalisés avant, sans avoir changé leur compréhension de ce qui est bien et ce qui est mal, de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas. Qu’est-ce que cette femme avait réalisé pour faire une aussi grande renonciation?

Quand quelqu’un gagne sa vie de la pêche, il ne peut pas se permettre de prendre en considération la souffrance des êtres desquels il cause la mort, de s’ouvrir les yeux sur la réalité que les poissons veulent vivre autant que lui et ont peur de la mort tout comme lui. Prendre conscience de la souffrance que l’on crée à des milliers d’êtres, chaque jour, voudrait dire continuer et être cruel ou arrêter et perdre son gagne-pain. Continuer serait d’accepter que son confort et sa richesse, que chaque dollar gagné, est construit sur cette cruauté, sur cette souffrance, qu’un être y a payé sa vie.

Pour la personne qui a le courage de s’ouvrir les yeux, il est impossible de continuer comme avant. Ce qui était auparavant flou et sans importance est maintenant clair et des plus significatifs. L’argent, la richesse, le statut, la sécurité deviennent tous de seconde importance, en comparaison au prix qui a été payé pour les atteindre; le poids de la souffrance causée aux autres, le regret et la culpabilité qui pèsent sur la personne responsable qui s’est ouvert les yeux perdent alors en importance. 

Quand notre vision du monde est complètement bouleversée, renoncer n’est plus difficile, n’est plus une épreuve. On voit clairement qu’il n’y a aucun autre choix possible. Il n’y a plus de conflit, plus de dualité, plus d’indécision. Je dois abandonner cela. C’est tout et c’est aussi simple que cela.

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