La philosophie de l’acrobate

Chaque année, le 31 décembre, nous partons en expédition dans la forêt pour y passer la nuit, dans le but d’apprendre à survivre dans la nature et de s’y construire un abri hivernal. Lors de notre dernière sortie, nous étions un plus grand groupe qu’à l’habitude et chaque personne tirait un traîneau derrière elle, alors que nous traversions ensemble la forêt sur quelques kilomètres.

La route était longue et difficile; la forêt était enneigée et la plupart des chemins n’étaient pas tracés. Nous transportions les traîneaux (qui ne semblaient pas vraiment lourds au début, mais qui le devenaient progressivement au cours de la marche) à travers des pentes montantes et descendantes.

À un certain moment, je me suis rappelé d’une histoire qu’Ajan m’avait racontée à propos de deux acrobates. Je souhaite vous la partager ici, mais avant cela, il est nécessaire que je vous en raconte plus sur cette marche dans la forêt avec les traîneaux. 

Lorsque vous voulez descendre une pente en tirant un traîneau derrière vous, le traîneau commence à prendre de la vitesse et peut glisser rapidement et vous frapper dangereusement derrière les jambes. Quand vous marchez en groupe, en ligne, chacun tire son traîneau derrière lui, mais il y a une technique pour descendre tous ensemble, en sécurité. 

Il faut pour cela former une chaîne: chaque traîneau a une corde attachée à son arrière et lorsqu’on commence à descendre une pente, chaque personne attrape la corde qui est attachée au traîneau de la personne devant lui, tout en continuant de tirer son propre traîneau avec l’autre main. 

De cette manière, chaque personne tient le traîneau devant elle, de sorte qu’il ne fonce pas dans les jambes de la personne qui le dirige devant, et en retour son traîneau est tenu par la personne derrière elle.

Lorsque je regardais la scène, chacun d’eux plaçait attentivement leurs pieds en essayant de ne pas glisser, sachant que s’il lâchait la corde ou que s’il tombait, la personne devant se ferait frapper. C’est à ce moment-là que je me suis rappelé de l’histoire des deux acrobates. 

L’histoire des acrobates

C’est l’histoire de deux acrobates; un jeune élève et un maître plus avancé en âge. Ils faisaient beaucoup de figures ensemble, impliquant un travail d’équilibre compliqué.

Une de leurs figures impliquait que le jeune acrobate se tienne debout sur les épaules du maître, et à partir de là, ils commençaient une série de figures acrobatiques. Un jour, lorsqu’ils pratiquaient cette figure ensemble, le maître dit au jeune: 

« Si tu prends toujours soin de m’aider à maintenir mon équilibre, et si je prends toujours soin de ne pas te faire perdre ton équilibre, alors nous ne tomberons pas et nous pourrons gagner notre salaire. »

« Non, non », dis le plus jeune, « Voici comment il faut faire: Je vais prendre soin de moi-même et travailler à maintenir mon équilibre et vous prendrez soin de vous-même pour maintenir votre équilibre. De cette manière, aucun de nous deux ne tombera, et nous gagnerons notre salaire – parce que si je me tiens fort et stable, je vous aide à maintenir votre équilibre, et si vous êtes stable et vous n’oscillez pas, vous m’aidez à garder mon équilibre aussi. »

Tous les deux avaient raison. Si vous faites attention à vous-même, vous faites par le fait même attention aux autres. En aidant les autres, vous vous aidez vous-même. Il en était de même lorsque nous tirions nos traîneaux le soir du Nouvel An – chaque personne faisait très attention à ne pas tomber et à garder sa propre stabilité, aidant ainsi les autres a ne pas perdre leur équilibre.

Le Dana

Ajan utilise parfois l’histoire des acrobates pour illustrer la qualité de la générosité, qu’on appelle le Dana.

Dans sa signification, le Dana est basé sur une simple loi: quand on fait du bien, on reçoit du bien – avec intérêt. Quand on fait du mal et cause des souffrances, on reçoit des souffrances, avec intérêt. Dana réfère à la première partie; faire du bien – cela veut dire qu’en donnant et en étant généreux, vous sécurisez un futur avec de bonnes choses qui viendront à vous. Plus vous donnez, plus le bien viendra à vous dans le futur. 

Quand les gens entendent ceci, ils réagissent parfois, « Mais cela n’est pas réellement un don, si vous donnez uniquement pour vous-même – c’est de l’égoïsme! »

Ce qui fait venir au mot « égoïsme » est l’idée qu’en faisant une bonne action, on sécurise un bon futur pour soi-même. Cependant, du moins de mon expérience, le gain futur n’est pas la motivation première de mon don; mais plutôt un effet secondaire plaisant. Aucun Dana n’est pur s’il est motivé par l’attente de quelque chose en retour, qu’il soit un cadeau, de l’attention, l’approbation, de l’appréciation, ou encore simplement entendre le mot «Merci». 

Quand on donne de façon pure, sans aucune attente de quelque chose en retour, le bénéfice est ressenti non seulement à un point inconnu dans le futur, mais là, maintenant, dans l’instant présent, parce que la vraie générosité envers les autres apporte avec elle la meilleure sorte de bonheur: la satisfaction d’avoir fait du bien. Ce bonheur vient naturellement et n’est connecté à aucune attente ou gain futur: vous le sentez indépendamment du fait que vous croyez en la loi du karma ou non.

Faire du bien, et ainsi se sentir bien, voilà ce que signifie “prendre soin de soi-même”. Prendre soin de soi-même, ça ne se fait pas par un massage ou par un bon café! Quand vous vous occupez de vous en faisant l’effort de faire bien, d’aider les autres et d’éviter de faire du mal, vous êtes immédiatement récompensé par une bonne conscience, par le bonheur et la paix d’esprit, et en même temps par l’effet de vos bonnes actions propagé partout, tout autour de vous. 

Voyez-vous en quoi c’est similaire à l’histoire des deux acrobates, ou à la technique pour descendre la pente avec les traîneaux? Dans ces exemples, comme dans le Dana, s’aider soi-même et aider les autres ne font qu’un, ils ne sont pas deux entités différentes.

En prenant soin des autres, on prend soin de soi-même. S’aider soi-même signifie qu’on aide les autres. 

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