
Souhaitez-vous être heureux dans la vie?
Quand vous êtes fâché, êtes-vous heureux?
Est-ce que la colère vous rapproche du bonheur?
Pourquoi l’acceptez-vous? Pourquoi ne vous en débarrassez-vous pas?
La colère est universelle; elle existe dans tous les pays, toutes les cultures, toutes les religions. Elle est également universellement détestée; personne n’aime la colère, personne n’aime être aux côtés de quelqu’un en colère.
Que connaît-on de la colère?
Bien que nous ayons tous, un jour ou l’autre, été fâchés, on se pose rarement les questions fondamentales suivantes.
Comment la colère est-elle née?
Combien de différentes sortes de colère existent?
Est-ce que la colère est causée par quelque chose d’extérieur à nous, par quelque chose d’intérieur ou parfois par quelque chose d’extérieur, parfois par quelque chose d’intérieur?
Est-ce qu’il existe de bonnes raisons d’être fâché?
La colère est-elle bonne ou est-elle mauvaise? Ou est-elle parfois bonne, parfois mauvaise?
Peut-on contrôler la colère?
Peut-on éteindre la colère?
Est-il possible de ne plus jamais avoir de colère?
Bien sûr, on peut aussi se demander la même chose pour toutes les autres émotions, que ce soit la peur, la jalousie, l’anxiété, la tristesse, etc.
Quand vous êtes fâché, êtes-vous heureux?
On peut généralement s’entendre sur le fait que la colère ne rend personne heureux. Quand on est fâché, on n’est pas heureux. Plus on est fâché, moins on est calme et moins on est serein.
On peut aussi généralement s’entendre sur le fait que la colère amène des gens à utiliser la violence verbale ou physique, dans le but de blesser l’autre, de lui faire mal. Quand une personne est en colère contre une autre, elle ne lui souhaite pas du bonheur; mais plutôt du malheur et de la souffrance; qu’elle soit punie et qu’elle souffre pour ce qu’elle a fait de mal. On ne prendra pas toujours une action verbale ou physique sous l’effet de la colère; parfois on arrivera à la refouler, mais parfois non.
Il n’est pas impossible de poser une bonne action sous l’effet de la colère ou de la révolte; lorsqu’on est en colère contre les injustices ou contre la guerre, on pourrait décider de vouloir changer les choses en s’impliquant bénévolement pour une organisation qui tente de les combattre. Cependant, il est impossible de performer ces bonnes actions dans la joie et la sérénité quand on est colère. Troublé par notre colère contre ces injustices, on ne peut qu’avoir une vie misérable, en guerre contre le monde entier… en guerre à l’intérieur de nous. Être misérable à l’intérieur de nous tout en faisant du bien à l’extérieur… ne serait-il pas préférable de faire ces bonnes actions simplement par compassion et désir d’aider, plutôt que de le faire avec indignation, le coeur plein de ressentiment?
La colère qui est en nous, donc, en plus de nous inciter à vouloir du mal aux autres, nous rend malheureux.
Vient maintenant une question plus difficile – si on voit que la colère n’est pas bonne, qu’elle nous rend malheureux, qu’elle nous amène à vouloir du mal aux autres et parfois utiliser la violence – pourquoi la gardons-nous? Pourquoi ne l’arrachons-nous pas?
N’est-il pas possible de s’en débarrasser?
Éradiquer la colère
Supposons que vous êtes dans le métro à l’heure de pointe. Vous attendez le prochain wagon, mais le quai est tellement bondé qu’il est difficile de s’y faufiler. Soudainement, dans votre dos, quelqu’un vous pousse brusquement. Immédiatement, comme de l’essence qui explose en flamme quand elle est touchée par une étincelle, la colère éclate en vous – comment ose-t-on !?
Vous vous retournez immédiatement, prêt à injurier votre assaillant, pour découvrir une vieille dame, toute frêle, qui a perdu l’équilibre et est tombée sur vous.
Êtes-vous toujours en colère? Ou la colère s’est-elle dissoute en un instant, aussi vite qu’elle n’était apparue, pour être remplacée par de la compassion, alors que vous lui offrez votre bras pour la supporter?
C’était facile de retirer la colère pour y mettre de la compassion à la place; ça s’est fait tout seul, en un clin d’oeil. Vous n’avez pas eu à refouler votre colère, n’est-ce pas? Elle est simplement disparue; elle s’est éteinte comme on souffle une bougie, sans travail bien compliqué, sans effort extraordinaire.
Comment est-il possible que l’on soit capable d’enlever la colère automatiquement, mais qu’on n’arrive pas à le faire manuellement, comme on veut, quand on veut? Si on est malheureux quand on est fâché, si on voit que ça nous ronge de l’intérieur et que ça blesse les autres, pourquoi ne l’enlevons-nous pas de la même façon? Pourquoi ne la lâche-t-on pas comme un objet brûlant qu’on a attrapé sans savoir, comme une goutte d’eau qui s’évapore dès qu’elle touche un poêlon brûlant?
Peut-être que c’est parce que, malgré le fait qu’on sait en théorie que la colère n’est pas bonne, quand elle naît en nous, on y croit. On est certain d’avoir raison d’être en colère.
Avoir raison d’être en colère
On considère parfois qu’on a raison d’être fâché.
Ce qu’on veut dire quand on dit qu’on a raison d’être en colère, c’est que l’on considère que notre colère est juste, qu’elle a une bonne raison d’être, que nous sommes en droit d’être fâché. La plupart du temps, notre colère est dirigée envers quelqu’un qui nous a fait du tort ou nous a traité de façon injuste. Ce “nous” peut être très large et inclut notre famille, nos amis, notre religion, nos idées, notre travail, notre statut et tout ce à quoi on peut s’identifier.
Reprenons la scène dans la station de métro. Quand vous apercevez la vieille dame chétive, à ce moment-là, vous réalisez que vous n’avez pas le “droit” d’être en colère contre elle, et exactement à ce même moment-là, votre colère tombe. Par contre, si, en vous retournant, vous aviez trouvé un jeune homme avec un regard nonchalant qui vous adresse un “oups!” sarcastique, alors là, vous auriez senti que vous aviez le droit d’être en colère, que vous aviez raison d’être fâché.
Dans ce cas, votre colère serait-elle tombée, ou auriez-vous plutôt craché à sa figure les mots de colère qui étaient nés en vous? Peut-être les auriez-vous refoulés, mais cela ne veut pas dire pour autant que la colère était disparue en vous, car vous auriez continué, n’est-ce pas, de vous remémorer la scène avec irritation au cours de la journée?
Peut-être que vous auriez redirigé votre colère vers un collègue au travail que vous n’aimez pas, ou que vous auriez trouvé une façon d’évacuer votre irritation; en vous plaignant à des amis, en allant courir, en en parlant à votre psy. Tout ça parce qu’à ce moment-là, vous aviez “raison” d’être en colère.
Cela nous amène à la prochaine question. Les autres sont-ils responsables de notre colère? Est-ce que les actions des autres déterminent si on a raison ou si on a tort d’être fâché?
Existe-t-il certains cas où on a raison d’être en colère selon le Bouddha?
Dans l’un de ses enseignements, le Bouddha explique ceci aux moines: “Moines, même si votre assaillant était pour vous couper sauvagement en morceaux, qu’il sciait votre corps en rondelles avec une scie à double tranchant, même dans cette situation, celui qui garderait de la colère en lui ne serait pas mon élève, car il ne suit pas mon enseignement.”
Sauvagement, a-t-il précisé.
Il explique donc que même dans une situation aussi extrême, ses élèves ne devraient avoir que des pensées de compassion envers leur agresseur.
Où sont le bien et le mal?
Quand vous êtes fâché, c’est que vous avez la certitude d’avoir raison alors que l’autre a tort; que vous êtes innocent et que l’autre est coupable, n’est-ce pas? C’est bien ce qu’on croit quand on pense qu’on a le droit d’être en colère.
Cependant, vous êtes en colère, et dès que vous êtes en colère, vous êtes en faute; vous ne pouvez pas avoir raison.
Qu’est-ce que ça implique que d’être coupé en morceaux avec une scie à double tranchant? C’est sans aucun doute physiquement douloureux. Et si vous étiez pour vivre les mêmes sensations physiquement douloureuses dans une différente situation; à travers une maladie, par exemple – seriez-vous en colère?
Non, parce que l’expérience physique n’est pas la cause de votre colère, que ce n’est pas la douleur occasionnée par une agression qui fait que l’on considère une colère juste ou en faute.
On ne peut pas changer le monde à l’extérieur à nous, il est simplement là et est fait de choses plaisantes et de choses déplaisantes, et elles demeurent ainsi, que nous soyons en colère ou non.
Ce qu’on appelle mauvais, ou mal, cela n’existe qu’à l’intérieur de nous, dans notre esprit.
La personne qui nous coupe en morceaux avec sa scie à double tranchant, est-elle dirigée par de mauvaises pensées, de mauvaises intentions? Assurément. Peut-être est-ce de la colère, peut-être de la haine, peut-être de la jalousie, peut-être de la revenge, peut-être le plaisir de tuer…. Peu importe la raison, ce n’est certes pas par bonté.
Supposons que c’est la colère qui dirige votre assaillant pour qu’il vous coupe en morceau avec sa scie, et qu’à ce moment, vous aussi vous devenez en colère contre lui. Quelle est alors la différence entre vous et lui à ce moment bien précis?
Vraiment, il n’y a presque pas de différence. À cet instant, il y a deux humains, deux corps et deux esprits, dirigés par la colère. L’un est capable d’agir sous l’effet de sa colère, l’autre en est incapable, il est la victime. Peu importe les bonnes pensées ou les bonnes actions que vous avez pu faire dans le passé, elles ne transformeront pas la colère que vous avez à ce moment en quelque chose de beau, de correct ou de justifiable. Peu importe l’objet de votre colère, il ne tourne pas votre colère en quelque chose de beau et respectable. Au moment où vous avez de la colère en vous, vous êtes la colère, vous n’êtes pas différent de toute autre personne qui est en colère.
Les fondations de la compassion
Celui qui pratique l’enseignement du Bouddha doit comprendre et voir que toute mauvaise pensée, mauvaise parole et mauvaise action sont cause de souffrance, et qu’elles sont mauvaises pour cette même raison. Les pensées justes, les paroles justes et les actions justes sont celles qui enlèvent la souffrance.
Il faut aussi comprendre que les mauvaises pensées, les mauvaises paroles et les mauvaises actions causent toujours plus de mal à la personne qui les commet qu’aux autres.
Il n’y a pas besoin de croire à la loi du karma pour voir que les mauvaises pensées et les mauvaises intentions causent de la souffrance à soi et aux autres, alors que les bonnes pensées et intentions amènent de la paix et de la joie. Qu’est-ce qui vous fait sentir heureux: la colère ou la compassion? Qu’est-ce qui vous fait sentir bien: l’irritation ou la patience? L’assiduité ou la négligence?
On peut aussi se rendre compte que nos mauvaises pensées, paroles et actions provoquent encore plus de souffrance pour nous-mêmes que pour les autres. Qu’est-ce qui nous rend le plus malheureux quand on y pense: le mal que quelqu’un nous a fait ou celui qu’on a fait à quelqu’un?
Le mal que quelqu’un nous a fait il y a vingt ans, est-ce que c’est ça qui nous réveille la nuit? Ou bien, est-ce que c’est plutôt la colère qu’on ressent envers cette personne qui nous réveille la nuit, qui vous ronge de l’intérieur?
Cette compréhension, cette façon de voir les choses, est la fondation de notre compassion envers celui qui fait du mal; même lorsque quelqu’un nous fait du mal, même lorsque quelqu’un nous coupe en morceaux avec sa scie à double tranchant.
Nous pouvons observer à l’intérieur de nous et de retirer cette colère pour la remplacer avec de la patience; il est possible de seulement garder la bonté et la compassion à l’intérieur de nous, et de ne pas faire place à la colère, la haine, la frustration, le désespoir, la peur ou la tristesse. Il est possible ainsi de grandement réduire la souffrance que nous provoque cette situation.
Nous pouvons donc réduire notre souffrance, mais qu’en est-il de ce pauvre homme avec sa scie à double tranchant? Il est conduit par de si mauvaises intentions, il crée pour son propre futur tellement de souffrance, tellement de tourments.
En le comprenant de cette façon, même celui qui nous coupe en morceaux avec sa scie à double tranchant ressemble à cette vieille dame qui était tombée sur nous dans le métro – un être qui n’inspire rien d’autre que la sympathie et la compassion. Nous n’avons pas plus raison d’être en colère contre lui que contre cette vieille grand-mère.
Attention de ne pas confondre; le fait de ne pas laisser la colère s’établir en nous ne veut pas dire qu’on doit se laisser faire! Il faut agir avec sagesse, et non pas seulement avec patience, car de laisser les autres abuser de nous sans rien faire ne serait pas sage, mais bien stupide! On ne doit pas laisser la colère s’établir en nous et vouloir prendre revanche, mais non plus ne devons-nous pas laisser quelqu’un nous couper en morceaux.
Il nous est impossible de changer ce qu’on a fait ou ce que les autres ont fait dans le passé. La seule chose qu’on a le pouvoir de changer, c’est ce qu’on garde à l’intérieur de nous au moment présent: nos pensées, nos paroles et nos actions. Puis, ultimement, quand on décide d’agir avec bonté et sagesse, non seulement on aide soi-mêmes, mais on aide aussi le monde entier.